Une légère brise s'est levée, faisant bouger les buissons de hautes fougères alentour. La lande semble se mettre à vivre. Melle Ollier prend encore quelques photos. L'obscurité gagne.
En cherchant un cadre, l'oeil rivé à son appareil, Melle Ollier met le pied dans un nid de poule, l'immergeant dans la boue jusqu'à la cheville. Elle manque de trébucher.
Melle OLLIER. Oh non c'est pas vrai... pas encore... merde !
Elle retire son pied dégoulinant. La boue, faisant ventouse, laisse échapper une flatulence du plus bel effet.
Melle OLLIER (secouant son pied). Beuurk !... C'est dégueulasse...
(elle marmonne): Je m'en vais te bétonner tout ça moi...
Le bruissement plus marqué d'un buisson proche la fait soudainement tressaillir. Elle se redresse, aux aguets, regardant autour d'elle. Elle réalise qu'il fait presque nuit. Elle essuie rapidement son pied dans l'herbe puis, pas rassurée, se dirige vers sa Twingo, garée en contrebas du talus. Autour d'elle, les fougères bougent sous l'effet du vent. On jurerait que dans l'obscurité, quelqu'un la suit.
Elle parvient jusqu'à sa Twingo, sur le chemin de terre. L'endroit est à peine éclairé par un vieux lampadaire à sodium à bout de souffle.
Un nouveau bruissement de fougères fait tressaillir Melle Ollier. Elle commence vraiment à avoir peur, se sentant observée. Prise d'un frisson d'angoisse, elle referme le col de sa veste et jette des coups d'oeil frénétiques autour d'elle.
Melle OLLIER. ...Y'a quelqu'un ?
Nouveau bruissement de fougères. Melle Ollier pousse un petit cri de sursaut. Elle s'engouffre dans la Twingo et condamne l'ouverture des portes. Elle tente de démarrer, mais les clefs ne sont pas sur le contact. Affolée, elle fouille dans ses poches, puis retourne le contenu de son sac sur le siège passager. Pas de clefs.
Melle OLLIER. Oh non... Il est parti avec les clefs... il est parti avec les clefs... merde, merde...
Elle prend son téléphone portable pour joindre Weber. Le cadran de l'appareil indique: "Pas de réseau".
Melle OLLIER (blĂŞme - Ă elle-mĂŞme). Qu'est-ce que je fais ?! Qu'est-ce que je fais ?!
Un bruit inquiétant retentit soudain à l'intérieur de la Twingo, comme si quelqu'un griffait le long de la carrosserie extérieure avec ses ongles.
Melle Ollier tressaille Ă nouveau. Elle est au bord de la crise nerveuse.
Melle OLLIER. Qui est lĂ !!!?
Le silence se fait Ă nouveau.
Puis d'un coup, comme un diable sortant de sa boîte, la tête hirsute et effrayante d'un Korrigan apparaît par la fenêtre conducteur. Melle Ollier, surprise, se met à hurler de toutes ses forces, à deux doigts de s'évanouir de peur.
Le Korrigan disparaît comme il est apparu.
Melle OLLIER (livide). Qu'est-ce que c'est que ça... Qu'est-ce que c'est que ça... Oh mon dieu...
A nouveau, ça griffe la carrosserie, mais cette fois de toutes parts. Ca ricane aussi. A l'intérieur, Melle Ollier hurle tout ce qu'elle peut, hystérique. Par réflexe, elle enclenche tout ce qui est possible à partir du tableau de bord. Les phares, les warnings, les essuie-glaces, le klaxon, la radio, tout se met en marche. Une vraie voiture de pompier.
A l'extérieur, on sent les Korrigans se déplacer autour de la Twingo, mais Melle Ollier ne distingue que quelques furtives ombres portées.
Au bout de quelques secondes, la Twingo se met à bouger, vraisemblablement poussée par les Korrigans. Lentement, le véhicule avance vers le fossé du chemin. La résistance offerte par le frein à main fait grincer la mécanique. Melle Ollier est entrée en crise de nerf; elle pleure, choquée.
Au bout de deux mètres, la Twingo finit par verser dans le fossé, froissant ses tôles. Sous l'impact, la portière conducteur s'ouvre. Melle Ollier s'en extirpe et prend ses jambes à son cou sur le chemin, morte de peur et en criant au secours.
Les Korrigans ont déjà disparu dans les fougères. On les entend s'éloigner en rotant et en pétant.
Extrait de "Bugale An Noz",
Scénario original de Frédérick Grosso (dépot S.A.C.D. n°111492)