Voyage

Mardi 19 septembre 2000.

13h00. Le voyage commence. CĹ“ur gros de ne pas le partager avec quelqu'un d'autre.

Apparemment, il n'y a que des Polonais dans le car, sauf un français je pense. Affreux : toutes les annonces se font en Polonais, pas un mot de français. Je ne comprends rien. Impression terrible d'isolement, je me demande ce que je fais là.

Cela fait deux ou trois heures que nous roulons. Le soleil est là. Tout est calme. Je dois être le plus anxieux de tous. Je roule vers un pays que je ne connais pas, vers quelqu'un que je ne connais pas. Les haut-parleurs diffusent Europe2. Les idées se bousculent dans ma tête.

16h00. Première pause. Une aire d'autoroute, je sors me dégourdir les jambes et me soulager. On repart.

Je feuillette le guide sur la Pologne, histoire de ne pas avoir l'air idiot en arrivant.

17h50. Je me plonge dans la lecture de Cotton Tail, un scénario de court métrage écrit par Fred. J'aime.

18h00. Ca doit être l'heure du ciné, un des chauffeurs allume le magnétoscope et les deux écrans de télévision s'allume sur un très sans doute navet avec Dolph Lundgren, film auquel je ne comprends rien puisqu'en Polonais. Echange de sms avec Fred pour lui faire part de mon amusement.

Je me replonge dans la lecture du scénario. Les larmes me viennent aux yeux à la fin. Je m'en veux de ne pas l'avoir lu plus tôt. Je ne comprends pas pourquoi personne n'est intéressé par ces écrits. Incompréhension d'autant plus grande quand on voit la qualité de la majorité des courts-métrages actuels…

Mon regard se pose machinalement sur les écrans de télévision et je m'aperçois que le film est en fait diffusé en version originale, mais entièrement doublé et raconté par une seule voix. Surprenant.

19h30. On est apparemment passé en Allemagne sans que je m'en rende compte. J'essaie de distinguer les panneaux pour confirmation mais c'est l'écran de mon téléphone portable qui m'ôte le doute : il affiche D1-Telekom.

Ca y est, je suis donc en terre étrangère. Rien dans le paysage ne le laisse paraître, la nature est la même. Les maisons ont peut-être effectivement un style légèrement différent. J'aperçois les ruines d'un château sur une colline.

C'est marrant, je viens de voir l'énorme M jaune d'une enseigne McDo en périphérie de ville… Marrant comme ce symbole familier me rassure un peu.

20h00. On roule vers l'est, la nuit tombe de plus en plus vite. J'allume la veilleuse au-dessus de moi pour continuer Ă  Ă©crire.

20h15. Deuxième pause. Je vais sortir un peu prendre l'air.

20h30. De retour dans le car. Je viens d'appeler un ami. Je crois maintenant sincèrement que l'une des plus belles inventions du XXème siècle est le téléphone portable. Pouvoir parler comme ça, sur la pelouse d'une aire d'autoroute, dans un pays étranger, avec un petit appareil qui tient dans la main et entendre la voix de ses proches est une chose absolument fascinante.

Je pense que je vais lire un peu, il est encore un peu tĂ´t pour dormir.

0h00. Difficile de dormir. J'essaie de trouver une position confortable pour trouver le sommeil. Peine perdue. Ca m'apprendra Ă  avoir grandi les pieds dans l'eau. Je me dis qu'avec la fatigue je finirai bien par m'endormir. Plus que 8 heures.


La frontière

Depuis 4h00 ce matin, depuis qu'on a franchit la frontière polonaise, je ne dors plus, je ne veux plus dormir. Ne comprenant rien en polonais, j'ai peur de louper ma station. A chaque gare routière, j'angoisse un peu, je cherche des yeux le nom de la ville, je me demande si c'est la bonne ou pas.

7h10. Zone commerciale. Dans la multitude de panneaux publicitaires aux noms imprononçables, j'en aperçois des étonnamment familiers : Géant, Castorama, Leclerc… C'est idiot, mais ça me rassure.

7h20. Le bus s'arrête à une station un peu plus importante que les autres. J'ai repéré un nom sur un bâtiment gris qui ressemble à celui écrit sur mon billet : Wroclaw. Je demande confirmation en montrant mon billet à un passager qui me fait oui de la tête.

Je descends, je récupère mon sac dans le coffre à bagages. Je suis sur le quai, un peu paumé. J'ai une demi-heure d'avance. Je m'apprête à appeler Pawel pour lui dire que je suis arrivé mais je le vois s'approcher sur le quai. Il est déjà là. Soulagement.

Je ne le lâcherai pas d'une semelle pendant 10 jours.


Samedi 30 septembre 2000.

17h00. Départ de Wroclaw. Décidément, je n'aime pas les au revoir. Au moment de quitter Pawel, j'ai les larmes aux yeux, me retenant pour qu'elles n'aillent pas s'écraser plus bas. Dur pour lui aussi, il reste seul sur le quai.

Je quitte ce pays où j'ai passé 10 jours formidables, dans une famille prête à tout pour que je sois confortablement installé. Merci Pawel, merci Monsieur et Madame Lepka pour votre gentillesse, merci Eva et Zbyszek de m'avoir fait un peu de place, et merci Sarah d'être venue me réveiller le matin à coup de truffe humide :-)


Dans les Carpates

Il me reste plein d'images de ce pays, de ces gens : des promenades dans la campagne avec Pawel et Sarah, des pommes de terre cuites à la cendre, des randonnées dans les Bieszczady (avec quelques ampoules aux pieds en prime), des mots imprononçables, des ricochets dans une rivière, une très belle promenade dans Cracovie, le sourire de Lukasz, des voyages interminables en bus et en train, des bus et des trains qui n'en finissent pas de prendre leur temps, les rues tranquilles de Kepno, la grand-mère de Pawel m'accueillant par un surprenant "Asseyez-vous" et qui me chantonnera un peu plus tard un "Au clair de la lune" presque parfait, un gâteau au pavot, une Pologne à deux vitesses où les charrettes tirées par des chevaux cottoient les moissonneuses-batteuses les plus modernes...

Tout plein d'images qui me feront, j'en suis sûr, revenir très bientôt en Pologne.

18h15. Bon, ils me refont le coup de la vidéo doublée par une seule voix. J'ai appris et effectivement pu constater pendant mon séjour que c'était le cas pour tous les films, séries ou sitcom étrangères. Mais bon, je n'arrive pas à m'y faire.

Y'a comme un grand vide en moi lĂ . J'aime pas. Heureusement qu'Internet est lĂ  et que je "retrouverai" mon copain Pawel demain soir.

J'ai quitté Wroclaw sous un grand soleil et il paraît qu'il pleut à Paris. Super… Et je reprends le travail dès lundi. Je sais déjà que je dois aller faire une réunion à Strasbourg mardi. Marrant, ça me rapprochera un tout petit peu de Kepno pour quelques heures.

20h15. Nous sommes arrêtés à la frontière polonaise depuis 10 mn sans qu'on n'ait vu encore aucun douanier se manifester. Un ami de Pawel m'a dit qu'un jour il était resté 4 heures à attendre. Ca promet.

20h55. Enfin. Presqu'une heure pour faire 50 mètres. Nous sommes maintenant en Allemagne. Paris se rapproche. Le bus file sur les autoroutes.

21h30. Je viens de finir de lire le séquencier de l'épisode pilote d'une série écrite par Fred. Pourvu que ça marche, j'ai hâte de voir le résultat en images. On devrait pouvoir s'attendre à la qualité d'un "Urgences" français.

9h15. C'est décidément impossible de dormir dans ce bus. Une heure par-ci, une heure par-là. Je tourne et me retourne. Je ne sais pas comment font les autres passagers, j'ai l'impression d'être le seul à ne pas réussir à dormir. Enfin bon, le soleil semble vouloir m'accueillir, c'est une bonne chose. On est en France depuis 6h00 environ et Paris est à 130 km. Le voyage va bel et bien se terminer.

11h30. Montparnasse. Fini.